11 – Premier jour
— Le docteur a dit que tu vas pouvoir sortir, mais il faudra revenir en consulation dans trois jours. Tu veux de l’aide pour te préparer ?
La grosse noire me tient à bout de bras comme si j’étais une poupée ou un casse-dalle, dur à dire, mais elle ne me lâche pas. Et c’est tant mieux, parce que j’ai un peu de mal à soutenir ce corps étranger.
C’est à se pisser dessus. Depuis le temps que je bande en fantasmant sur le moment où je pourrais le fourrer, voilà que je suis mou comme une nouille trop cuite maintenant que je suis dans la place. Ironie du sort.
La vie, quelle garce !
Je hoche la tête en désespoir de cause, et elle se met à farfouiller dans les placards et sacs de la piaule.
— Il aurait pu te ramener un change, quand même, ton mec.
Elle crache les deux derniers mots comme un glaviot immonde. Et je peux qu’être d’accord avec elle.
— Tu veux que je passe chez toi pour te prendre du linge propre ?
A l’idée de me retrouver seul ici, avec l’autre taré qui peut revenir, je me sens au bord de chialer. Putain ! Je suis devenu une vraie gonzesse, ma parole !
— OK, reprend-elle en revenant vers moi avec un tas de chiffons. On va se débrouiller avec ça, et tu te changeras une fois chez toi. Tu veux de l’aide pour t’habiller ?
Je dois regarder le sous-tif avec un drôle d’air, parce qu’elle me materne comme si j’avais six ans. C’est vrai que je me sens comme un gosse, mais devant le sapin de Noël ! C’est au moins du 95D !
Je secoue la tête négativement. J’ai hâte de me retrouver seul dans la salle de bain, moi !
Ragaillardi par le programme, je me relève avec précaution. A mon grand plaisir, la tête ne me tourne plus, et j’arrive à m’asseoir sur le bord du lit tout seul. Mes pieds ne touchent pas le sol, alors j’attrape la télécommande de la couchette pour la faire descendre. Puis je chope le tas de fringues, et je me glisse à petits pas dans la petite pièce.
Merde, pas de verrou. Bon, c’est peut-être mieux si je pars encore dans les vapes.
Devant le grand miroir au-dessus du lavabo en plexi blanc, je dénoue la chemise de nuit en papier et la laisse tomber au sol, au comble de la gourmandise ! Enfin, je vais pouvoir me rincer l’oeil !
Tout d’un coup me frappent mon sourire pervers, ce corps offert et les ecchymoses qui le bleuissent largement. Chaque membre a souffert. Je comprends mieux mon impression d’être fracassé. Ce n’était pas qu’une impression. Rien de grave, d’après les médecins, mais mes yeux n’ont pas le même diagnostic.
La main tremblante, je fais glisser mes doigts sur le marbre bleuté de cette peau tellement désirée et aujourd’hui suppliciée à cause de ce désir même. Et je n’y tiens plus. J’enfile la culotte, la jupe, puis j’attrape le sous-tif et fonds en larmes.
Déjà, avec Sandra, je ne savais jamais comment dégraffer ce bordel. Alors le mettre...
Dans la glace, je vois la porte s’entrebâiller et Marie-France glisser un regard de pitié sur un sourire douloureux.
Je suis pitoyable. Un putain de meurtrier presque violeur même pas foutu de crever complètement.
— J’y arriverai pas, dis-je dans un souffle, réussissant l’exploit de ne pas m’étouffer dans une nouvelle quinte de toux.
Délicatement, sa grosse main noire pose des doigts doux et blancs sur la dentelle, me l’enlève sans brusquerie pour me passer le sous-vêtement, le fixant sans bruit entre mes omoplates, sa peau efffleurant la mienne comme un souffle.
— Ne t’en fais pas, ma belle. Tout va s’arranger. Ça va aller. Je suis là.
Sans parvenir à la fixer dans les yeux, j’enfile le chemisier et le boutonne maladroitement.
— Te voilà de nouveau jolie comme un coeur !
Elle force un peu la note, mais son sourire me réchauffe.
Pour une noire, elle est quand même vachement attentionnée et douce.
— Tu viens ? Je vais te mettre tes chaussures.
Merde.
C’est bien le moment, tiens.
Je lorgne du côté du chiotte, et l’autre me comprend sans un mot. A croire qu’elle lit dans mes pensées, cette sorcière vaudou !
— Je te laisse quelques minutes. Je suis dans la chambre, si tu as besoin.
Puis elle s’éclipse.
Je commence à l’apprécier, celle-là.
Vite, je descends ma culotte, remonte la jupe et fais face à la cuvette avant d’être pris d’un fou-rire sans joie. Qu’une toux douloureuse vient vite doucher.
Je m’assois donc. Pisseuse je suis, pisseuse je pisse. Instant de bonheur, celui de la délivrance simple d’un besoin facile et naturel. Puis malaise, quand il s’agit de conclure l’acte par des gestes familiers qui me sont étrangers.
Si je tenais ce connard de Dieu qui m’a fait ce coup de pute, sérieux, je lui tordrais le cou.
Quand je regagne la chambre, fatigué mais plus à mon aise, je bloque devant mon habilleuse de fortune tenant en souriant des escarpins aux talons dangereusement hauts.
Ça va pas le faire.
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